En 2020, on veut bien manger pour notre santé, mais aussi celle de la planète. Comment allier les deux de façon saine, responsable, mais aussi réaliste ? Et si on devenait tous " planétariens " ?
EAT est une jeune fondation internationale à but non lucratif, qui a son siège social à Oslo, en Norvège. Elle s’est donné comme mission de transformer le système alimentaire mondial en encourageant l’action afin d’arriver à ce que celui-ci soit juste et durable, à la fois au service de l’humanité… et de la planète.
Selon Fabrice DeClerck, directeur de recherche scientifique pour EAT, il est impératif de lancer un réel dialogue afin de réunir les secteurs scientifique, politique, commercial et la société civile autour de cet enjeu primordial pour l’avenir de l’humanité et de la Terre.
"L’alimentation, qui devrait être source de santé, est devenue première source de mortalité à l’échelle mondiale. Parallèlement, la production alimentaire, les quantités qui sont gâchées ou perdues sont devenues la première source de dégradation de l’environnement. Bref, notre relation avec l’environnement et notre propre santé à travers l’alimentation est désormais non fonctionnelle", résume-t-il.
Un immense débalancement se constate à l’échelle planétaire, ajoute M. DeClerck. D’un côté, 2 milliards d’êtres humains n’ont pas accès à suffisamment de nourriture – un nombre qui, après avoir été stable pendant des années, est en hausse depuis trois ans – et de l’autre, 2 milliards de personnes souffrent de maladies liées à l’obésité et à la suralimentation, un chiffre également en croissance.
On parle beaucoup du coronavirus ces jours-ci… Mais c’est 11 millions de décès prématurés par année qui sont causés par l’alimentation. C’est une vraie épidémie, comme le sont les changements climatiques.
Fabrice DeClerck, directeur de recherche scientifique chez EAT
Comme les impacts de cette "épidémie non communicable" sont lents et diffus, il peut être difficile de lancer des changements chez les individus. Comment renverser la vapeur ? Pour y réfléchir, EAT s’est associé l’an dernier avec The Lancet, une publication scientifique de renom, pour créer la commission EAT-Lancet, qui a invité 37 scientifiques aux expertises diverses à esquisser des pistes de solution.
Deux fois plus de fruits, de légumes, de noix et de légumineuses
50 % moins de viande rouge et de sucre
Leur réponse : l’"alimentation planète santé" ou "planétarienne", une proposition pour aider les gens à faire une transition vers une alimentation saine, qui serait optimale à la fois pour la santé humaine et pour celle de la planète, en tenant compte "des limites planétaires de production alimentaire et des limites nutritionnelles de santé, dans une optique où nous serons 10 milliards de personnes en 2050", détaille M. DeClerck.e
Que mangent les "planétariens" ? Une assiette se divise comme suit : la moitié est remplie de légumes et de fruits ; l’autre moitié comprend des grains complets, des protéines végétales, des noix et des graines, des huiles végétales non saturées et, en quantités moindres, des sucres ajoutés, des produits laitiers et des protéines animales.
Bref, il s’agit d’une alimentation qu’on pourrait qualifier de "flexitarienne", soit principalement à base de plantes et d’aliments entiers, qui vise à réduire considérablement la quantité de protéines animales dans l’assiette. M. DeClerck note d’ailleurs que la consommation de ces dernières est généralement de deux à trois fois plus élevée que les recommandations quotidiennes en Europe, aux États-Unis et au Canada.
Tout le monde a tendance à paniquer et à se braquer lorsqu’on parle de réduction de viande rouge, mais ce qu’il faut comprendre, c’est qu’EAT propose surtout d’augmenter les fruits, les légumes et les noix ; des aliments qui ont un apport protectif à la santé.
Fabrice DeClerck
"Si on s’en tient à la recommandation de 2500 calories par jour et que nous consommons de grandes quantités de viande, cela signifie que nous sous-consommons les fruits, les légumes, les grains et les légumineuses", détaille-t-il, ajoutant qu’il serait "catastrophique" que des pays comme la Chine ou l’Inde adoptent le même type d’alimentation que les pays occidentaux.
La Canadienne Aimée Wimbush-Bourque est chef et fondatrice du blogue culinaire Simple Bites qui, depuis 10 ans, propose des recettes saines et simples pour toute la famille. Associée au mouvement "whole foods" – elle a grandi au Yukon où sa famille vivait presque en autarcie –, celle qui a longtemps habité Montréal et qui s’est installée récemment à Halifax avec sa famille se définit comme flexitarienne et, oui, comme "planétarienne".
"Je n’aime pas vraiment les étiquettes, mais j’aime l’idée de construire ses menus avec ce qui est bon pour l’organisme et pour la planète, en réduisant d’abord la quantité de viande et en augmentant les légumes et légumineuses, indique-t-elle. C’est aussi l’idée de se nourrir d’abord avec ce qui est disponible autour de nous, en cuisinant avec des aliments locaux et saisonniers le plus possible."
Il n’est pas nécessaire de tout chambarder, remarque celle qui prône depuis toujours la modération et la flexibilité dans cette approche où on tente de cuisiner le plus possible chez soi, majoritairement à partir d’aliments entiers à base de plantes. "Souvent, les gens croient que c’est très compliqué, mais ça peut être vraiment simple ; un bol de lentilles et de grains entiers ; faire sa propre vinaigrette ; un “pan meal” où on fait rôtir au four sur la même plaque des légumes racines avec un morceau de poulet…", énumère-t-elle.
Le Dr Martin Bloem, directeur au Johns Hopkins Center for a Livable Future, à Baltimore, vient de publier une étude observant les habitudes alimentaires de 140 pays. Celle-ci calcule l’impact que des changements dans l’alimentation auraient sur la production de gaz à effet de serre (GES) et les sources d’eau potable. Neuf types d’alimentation à base de plantes, comme l’alimentation végétalienne, végétarienne, pescétarienne ou sans viande rouge, ont été examinés.
Selon le Dr Bloem, si l’idée de l’alimentation "planétarienne" constitue une "étape importante" pour "repenser notre rapport à la nourriture", la réalité est beaucoup plus complexe et il ne peut y avoir une "solution universelle".
Il faut notamment prendre en compte les disponibilités alimentaires, les besoins nutritionnels selon l’âge, les différences culturelles, les méthodes de production… Un exemple : une livre de bœuf produite au Paraguay crée 17 fois plus de GES que la même quantité produite au Danemark.
Adopter une attitude extrême ne tient pas compte des diverses cultures et héritages. Si on veut changer le monde, nous devons nous tourner vers une alimentation flexitarienne et, oui, réduire notre consommation quotidienne de viande et de produits laitiers, surtout dans les pays occidentaux.
Le Dr Martin Bloem, directeur au Johns Hopkins Center for a Livable Future
Cela dit, quelques grandes tendances se dessinent. Ainsi, le passage planétaire à une alimentation végane aurait comme impact de réduire en moyenne de 70 % l’empreinte carbone par habitant. Mais l’étude a également déterminé que consommer des protéines animales en provenance du bas de la chaîne alimentaire ("low food chain animals diet"), comme les petits poissons (sardines, anchois, maquereau, hareng, éperlans), les mollusques et les insectes, aurait pratiquement le même impact environnemental que l’alimentation végane.
"C’est fascinant, car les petits poissons, par exemple, sont souvent boudés, mais d’un point de vue nutritionnel, ils sont très intéressants. Présentement, plutôt que de les destiner à la consommation humaine, on les utilise pour nourrir les gros poissons élevés en aquaculture", une méthode de production qui est loin d’être écoresponsable, remarque le Dr Bloem.
60 % : Proportion de la production mondiale de poisson qui vient de l’aquaculture
Source : Johns Hopkins Center for a Livable Future
De la même façon, manger végane deux fois sur trois dans sa journée serait plus bénéfique pour l’environnement que d’adopter en tout temps une alimentation végétarienne incluant les œufs et les produits laitiers, en raison des grands impacts environnementaux de ces productions alimentaires.
Des idées à méditer lors de l’élaboration de votre prochain repas…
Une assiette se divise comme suit
– La moitié est remplie de légumes et de fruits
– L’autre moitié comprend des grains complets, des protéines végétales, des noix et des graines, des huiles végétales non saturées
– En quantités moindres, des sucres ajoutés, des produits laitiers et des protéines animales
– 0 à 200 g de viandes rouges (l’équivalent de 1 burger)
– 0 à 240 g de volaille (l’équivalent de 1 poitrine de poulet)
– 0 à 700 g de poissons et crustacés (l’équivalent de 1 filet de saumon, 1 portion de crevettes et – 1 portion de pétoncles)
– 0 à 175 g d’œufs (l’équivalent de 3 œufs)
– 0 à 500 g de produits laitiers (par jour) (l’équivalent de 1 verre de lait, 1 portion de yogourt et 1 petit morceau de fromage)
Source : LA PRESSE